Nothing but the blood. { Elixir.

Elixir & Godric.

Décidemment la soirée semblait plutôt prometteuse, ou, du moins, moins ennuyante qu'il ne l'avait prévue. Une nuit de plus dans l’océan de son existence. Il ne les comptait plus. Trônant comme toujours au fond de son immense séjour, confortablement installé sur son fauteuil de cuir blanc, Godric ne disait mot. Malgré le fait que la majorité des invités humains semblait encore ignorer royalement le tenant de leur société, il se délectait des ragots qui passaient à son oreille, de ce genre d'idioties qu'il côtoyait à chaque réception: les bavardages dotés d'ignorance étaient donc l'une des premières prises avant l’acquisition de la sagesse du silence. Se délectant de cette idée plutôt agréable quoiqu'encore portée sur ses hypothèses peu nécessaires, il lança du regard encore quelques salutations discrètes tout en prenant la peine d’écouter les quelques mots prononcés par ceux qui s’étaient attelés à l‘habituelle queue qui lui était destinée et dont il ne voyait que rarement la fin avant l'aube. Chaque compliment était accompagné d'envie, chaque mot d'un sous-entendu qu'il percevait à merveille… Ce qu'il pouvait mépriser ce genre d'êtres simplement bercés par le désir et l'envie, mais ce qu’il avait conscience de sa désirabilité. Un brin de conversation, une phrase offerte à la volée, c’était à peu près tout ce que ces gens attendaient de lui, vampires comme mortels. Bien sûr il était satisfait de cette idée, il appréciait tout particulièrement qu’on vienne régulièrement lui faire part des nouvelles qui touchaient les vies ou existences de ses concitoyens, et s’investir toujours plus en leur apportant avis et conseils. Si le plus souvent il se contentait d’hocher la tête, l’air pensif, c’était soit qu’il n’avait rien à ajouter à ce qu’on lui apprenait, soit qu’il se trouvait déjà perdu dans quelques autres pensées. Cet instant d'égarement dut être aussi ressentit par ses interlocuteurs qui en général ne tardaient pas face à lui et s’éloignaient pour profiter du buffet froid et des boissons qui se servaient sous leurs yeux gourmands.

En sa maison, les mésententes n’entraient pas. Il n’y avait de place que pour ceux qui étaient porteurs de paix. Enfin, c’est-ce qu’il espérait… Car il savait bien que les mauvaises langues savaient parfaitement dissimuler leurs fioles chargées de ce venin dangereux qu‘on appelle plus communément jalousie, ou encore convoitise. Un nouveau soupir, encore un brin de regret dans le regard, avant de reporter son attention sur ses nombreux convives. C’étaient les siens, ces texans de naissance ou non, éternels ou non. Ils savaient qu’en ses murs ils pouvaient se côtoyer sans gêne, et c’était peut-être là la raison pour laquelle régnait chez lui une telle effusion… non seulement de sang, mais aussi de sentiments. Souriant intérieurement, il surveillait cette toute jeune cohabitation d’un œil bienveillant, se réjouissant de l‘harmonie qui régnait en maître sur l‘échiquier des apparences.

Avec une dextérité remarquable, une silhouette féminine s’introduisit dans la file, entre les personnes qu‘on aurait presque pu surprendre avec un numéro à la main, pour se rendre directement auprès de Godric, sans le moindre scrupule. Ce n’est qu’une fois arrivée face à lui qu’un léger sourire gêné s’esquissa sur son visage fin aux traits parfaitement lisses, intriguant ce dernier. Avant d’entrouvrir sa bouche rouge en forme de cœur, Isabel se décala légèrement à la gauche de son créateur, laissant apparaître une demoiselle. Tout en levant légèrement la tête en guise de « plaît-il ? », Godric attendit que la charmante romaine aux longs cheveux ébènes introduise la nouvelle arrivante.

« Nous avons pensé Stan et moi que cette petite surprise pourrait sans doute vous être agréable et divertissante. Une humaine B négatif fraîchement arrivée de La nouvelle Orléans. » Les derniers mots de la sublime romaine suffirent amplement à son esprit pour cogiter.

L’entière attention de la salle de séjour se posa soudainement sur les trois protagonistes, tandis qu’en tendant bien l’oreille, on pouvait percevoir entre les notes de musique encore quelques murmures interrogateurs provenant de la file qui s’impatientait. Godric ne pouvait blâmer Isabel d’être elle-même, autrement dit une femme sensible, pleine de tendresse, de bonnes intentions… Probablement la plus humaine et attentionnée des vampires de sa connaissance. Son souhait était de distraire et d’égayer son shérif monotone, mais également de l’abreuver comme il se devait, car depuis que Godric offrait son sang à allez-savoir-qui, une légère fatigue paraissait chez lui, et ce malgré le manque évident de soif, propres aux vieux vampires. Même s’il n’appréciait pas toujours qu’Isabel se dévoue corps et âme à sa personne, il ne pouvait se résoudre à la rancune. Il s’était accoutumé aux manières de sa plus fidèle alliée dans la mort, jusqu’à s’attacher véritablement à elle, jusqu’à éprouver de la compassion à son égard.

« J’aurais préféré être prévenu avant pareille surprise. Mais je vous suis reconnaissant, à Stan et à toi. »

Si elles en avaient eu la capacité, ses joues se seraient très légèrement teintées de pourpre, tandis qu’elle aurait senti de la gêne suite à la réponse de Godric… Mais malgré la honte, son visage demeura parfaitement pâle. Elle posa ses yeux exorbités sur son invitée, avec dans le visage cette expression qui semble implorer la bonne conduite. Un long silence intervint entre elles, jusqu’à ce que, après un long soupir, Isabel hoche timidement la tête à Godric en signe de respect, et se retire, jurant intérieurement à propos du point jusqu‘auquel elle et son époux pouvaient être si tristement maladroits avec leur bien-aimé supérieur.

Observant enfin l’humaine qu’on venait de lui offrir, prenant la peine de s’attarder sur elle, il considéra l’air amusé pendu à la commissure de ses lèvres qui indignait les plus respectueux des spectateurs de la scène. Que les apparences sont belles, car on ne juge que par elles, se dit-il tout en restant fixé sur la fille de joie. Son parfum était enivrant, un mélange de chair chaude et d’eau de toilette, synthétique mais onéreuse. Physiquement, elle entrait parfaitement dans les critères de beauté propres au second millénaire; une peau de porcelaine, une taille de guêpe, mise en valeur par une silhouette élancée, un visage et des membres fins, de petits yeux émeraudes pétillants, un nez légèrement retroussé ainsi qu’une bouche moyennement pulpeuse, dont la couleur carmin semblait déjà inviter à l’extraction du sang, que pour une fois, Godric ne souhaitait pas contourner. Tranquillement, il pointa à la jeune femme qui tentait toujours de contenir son rire le divan de velours près de lui. « Prenez vos aises. » Là où n’importe quel immortel aurait déjà empoigné l’avant-bras de l’humaine et mordu avidement ses appétissantes veines, Godric, lui, se contenta d’ordonner à un serveur d’apporter un verre de baileys à son présent avant de reprendre l’écoute des affirmations et demandes de ses confrères. « Godric ceci, Godric cela… » Doléances et autres se poursuivirent pendant une bonne heure, jusqu’à ce que sans prévenir le vampire millénaire marque une pause en se retournant vers la nouvelle arrivante, ignorant le restant de la queue, se focalisant sur ce à quoi son esprit était silencieusement occupé depuis soixante minutes et des poussières. « Qu’on ait été vous chercher si loin m’interpelle, avez-vous eu vent de la raison de votre présence en ma demeure, Miss … ? » Quoiqu’un soupçon immergé dans l’interrogation, son ton était resté à son image, incroyablement calme, et son regard neutre, parfaitement fixe sur elle, comme si un fusil déchargé était braqué sur ses yeux.

De leurs bouches les paroles se déversaient, les paroles se suivaient, les paroles se ressemblaient. Comme un tourne-disque bloqué, un torrent au flux rapide, ces personnes qu’il observait silencieusement passaient le plus clair de leur temps à ouvrir la bouche pour discuter sans cesse de leurs expériences existentielles… Tantôt il en trouvait des intéressantes, tantôt elles n’étaient à ses yeux que d’insupportables pies, dotées de l’extraordinaire pouvoir de se montrer si pathétiquement intarissables, du moins quand l’envie leur prenait -c‘est-à-dire la plupart du temps sur un coup de tête-… Des juke-boxes aux mélodies pesantes et sans fin. Pour être franc, cela avait plus le don de lui irriter les nerfs qu’autre chose. Godric en venait même parfois à se demander si ces gens avaient une sorte de don d’apnée, comme les sirènes, pour parler autant sans jamais prendre le temps de penser ou même juste de respirer. Pourtant il ne pouvait pas, il ne voulait pas les interrompre. S’il était aimé dans sa communauté, ce n’était pas sans raison. Il avait su avec le temps acquérir le respect et la confiance des siens, et ce malgré ses airs de jeune premier. Dans chaque phrase pouvaient se terrer des éléments intéressants, bons à savoir, et le fait d’entretenir une discussion avec à peu près chacun de ses voisins et confrères lui donnait l’impression presque trompeuse de tenir un certain rôle, d’avoir une importance quelconque pour eux. Il ne tenait pas à être de ces shérifs qui se prétendaient proches du peuple mais qui s’en protégeaient. Il aimait ces gens, véritablement, et ne pourrait jamais se le pardonner s’il leur arrivait malheur sans qu’il ait été mis au courant du moindre de leurs problèmes. Le Texas était sa famille. Une belle et grande famille, aussi soudée que possible. Mais qui n’égalait en rien celle du sang, celle qu’il avait jadis formé avec Eric…

La Nouvelle-Orléans. Immédiatement, en son esprit était tout naturellement apparu l’image de son enfant, et ce avant même qu‘Isabel n‘eut achevé sa phrase. Mais il avait besoin de temps pour penser, il n’avait pu se résoudre à s’adresser directement à la jeune femme. Pour lui épargner une attente désagréable, il lui offrit un verre d’alcool et l’installa sur un confortable divan, même s’il savait d’avance qu’elle s’ennuierait. Les choses telles qu’elles lui avaient été présentées semblaient peut-être trop simples, son raisonnement trop logique, mais connaissant la vampiresse comme il la connaissait, il était très probable que sa pensée fût juste. Si la dénommée Elixir avait été importée de Louisiane tout spécialement pour lui… Alors il y avait anguille sous roche, et il devait savoir.

« Combler mon ennui par du plaisir charnel ? Je n’ai plus l’âge requis pour me distraire de ces choses là. » Il ne sourit pas, mais la couleur de sa voix changea très légèrement, comme si la commissure de ses lèvres avait été sur le point de s’étirer face aux propos et à l‘air malicieux de la demoiselle. Ne pensaient-elles donc toutes qu’à cela ? Lui avait simplement les crocs. « On t’a donc payée pour que je t’écarte vulgairement les cuisses, et rien de plus ? » Les propos étaient crus, mais Godric voulait en venir à ce qui l’intéressait réellement; la personne qui l’avait conseillée à Isabel, et dont il pensait connaître bien plus que le nom. Sa voix redevint aussi calme qu‘une rivière. « Ce sont les échos qui m’intéressent. Je suppose que tu es également au service d’Eric Northman ? Tu dois être sa masterpiece ? »


[ Mais non, ne dis pas ça. C'est plutôt moi qui suis minable. ]