Don't you like vampires, little girl ? { Meally !

Comme c'est étrange de vivre. C'est vrai, c'est étrange de marcher, de courir contre les secondes pour au final se retrouver dans le vide sidéral de l'existence. ...Non vraiment, vous avez cru que j'allais partir dans une grande réflexion philosophique? Eh ben non. Ce soir c'est fiesta. Comme à peu près tous les soirs dans ma vie depuis trente ou quarante ans. Quand même, c'est dingue de se dire que cela fait plus de trois décennies que je fais la même chose chaque nuit. Je sors de ma tanière, je cherche un bar, une invitation, je marche sur un trottoir, sur une route perdue, je marche dans le noir, je m'arrête, je me débauche, j'essaye toutes les drogues d'hommes, tous les plaisirs d'hommes, et les plaisirs du sang, à la fin je vomis, ou c'est tout comme, parfois je pleure, parfois non. C'est inutile de vivre comme ça. Je m'étais juré de ne jamais faire la même chose chaque soir, mais il faut avouer qu'au bout de neuf siècles, je me transforme en petite mémé habituée à sa routine quotidienne, même si mes activités peuvent paraître un peu moins monocordes que de faire du tricot devant la télé. Je vieillis finalement. C'est triste. Je ne veux pas vieillir. Quoique, j'ai eu le don de ne plus vieillir de mon corps, mais mon esprit à tous les droits de vieillir, il y a bien un moment ou même l'immortalité devient mortelle, ou même la candeur et l'innocence de l'enfance s'effacent pour laisser place à l'aigreur d'avoir vécu. Mais depuis toujours j'ai refusé de devenir cette personne. C'est pour ça que je m'enfonce dans les plaisirs jeunes et frais, dans tout ce que le monde parvient miraculeusement à inventer chaque jour. Quand j'y pense oui, j'ai quand même changé ces dernières années, j'ai même aimé ce que j'ai fait. J'ai regardé les hippies, les punks, les gothiques, les rappeurs. Je suis fier de n'avoir jamais été enfermé dans les habitudes des temps anciens, comme trop de mes congénères. On a beau avoir des siècles derrière nous, et toute l'histoire du monde dans nos mémoires, il faut bien évoluer avec son temps.
Pff, j'arrive à me contredire si facilement, à dire une chose et son contraire en un instant. Je suis à la fois vieux et jeune, et je n'arrive même pas à savoir ce que je préfère d'entre les deux. Tout ce que je sais là, présentement, en marchant dans ce quartier malfamé, c'est que j'ai en fait vraiment envie d'aller à cette satanée fête, de me vendre à ces gens dont je n'ai rien à faire, juste pour sentir quelque chose vivre dans mes veines mortes. A le dire comme ça, ça ne donne pas envie. Mais j'ai pris goût au vice. J'ai semble-t'il perdu toute vertu en devenant cet objet à vendre, à acheter pour une nuit. Pourtant je ne crois pas être un monstre, je n'ai tué que rarement. Mais s'il ne fallait que tuer pour devenir un monstre... Les enfants eux-même peuvent être des monstres, dès lors qu'ils ne sont plus des enfants. Les vrais enfants, les enfants d'innocence et d'insouciance, ne peuvent être mauvais. Tous ceux qui ne sont plus des enfants sont mauvais. Je suis mauvais. Est-ce que cette petite fille là-bas au milieu des prostitués est mauvaise? Ces femmes-là ne sont plus des enfants, mais je ne saurais dire si elles sont mauvaises, elles ont encore un peu de l'innocence des enfants (mais moi, puis-je l'avoir encore? Assurément non) Je n'arrive pas à détacher mes yeux de cette enfant. Il y a de l'innocence et de l'insouciance dans la façon dont elle se tient, dans ce sourire que toutes les autres femmes là-bas ont oublié dans leurs manteaux bons marchés en fausse fourrure. C'est une enfant une vraie, avec une crinière de cheveux blonds qu'elle a oublié de coiffer, avec une poupée cassée dans la main. Comment a-t'elle bien pu se perdre en ces sombres endroits? Elle semble attendre, avec un immense sourire, quelque chose qui n'a pas sa place ici, quelque chose qui n'existe que dans ses yeux d'enfants.
Une voiture s'arrête devant elle, et je me rends alors compte que je n'ai pas bougé depuis dix bonnes minutes, incapable de décrocher les yeux du tableau sublime de l'enfance, ce tableau qu'on va déchirer d'une seconde à l'autre. J'entends siffler le serpent derrière la vitre. « Alors petite, tu veux que je t'offre à boire? » Un frisson plus tard je lui arrache sa langue. Je serre sa face de rat au seuil de casser sa mâchoire, je devrais la lui casser, il ne mérite pas mieux. Je sens sous mes doigts se broyer un faux dentier de vampire. Ridicule. Il me fixe tout aussi tétanisé qu'implorant. Encore plus ridicule. « C'est toi que je vais saigner à mort si tu dégages pas immédiatement, sale pervers. » Je ne sais même pas ce qui me retiens de le tuer. La petite fille là derrière surement. Cette enfance qu'il ne doit pas souiller. Je veux me tourner vers elle mais à cet instant l'infâme essaye de me mordre avec ses fausses dents. Cette fois-ci c'est son cou que j'étrangle. C'est ses yeux que je fixe et où je savoure la terreur. Encore plus belle quand silencieusement je fais descendre mes crocs, les laisse étinceler dans la nuit, avant de les remonter, pour ne pas que la petite fille les voit. Lui, Je le vois rampant dans la mare de son propre sang, je ris. Mais je le lâche et il détale comme une gazelle effarouchée. Je me tourne vers la petite fille et je veux la prendre dans mes bras, danser et rire avec elle, juste être un enfant qui rit dans la farce de la vie.